Les conséquences néfastes de l’absence du procès-verbal de carence totale

Par Florence Drevet-Wolff, avocate associée.

Article écrit pour  LE JOURNAL DU MANAGEMENT JURIDIQUE – mars avril 2021

La situation sanitaire et économique actuelle conduit les employeurs à prendre des décisions qui ont un impact significatif vis-à-vis de leurs salariés. Ces décisions peuvent être dictées par des difficultés économiques (baisse croissante de l’activité et du chiffre d’affaires, maintien de la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, …) ou bien au contraire viser à motiver les salariés qui restent sur le pont (les piscinistes et les marchands de vélos ne connaissant pas la crise, …).

Or, ces prises de décisions ne seront licites que si l’employeur a respecté ses obligations en matière de représentation du personnel. En d’autres termes, il doit avoir mis en œuvre les élections professionnelles et si à l’issue du processus électoral, aucun salarié n’est élu, il doit établir un procès-verbal (PV) de carence totale.

En réalité, la plupart des employeurs ne mesurent pas les conséquences néfastes du non-respect de cette obligation et/ou des diligences visées ci-dessus. Ainsi, l’employeur :

Encourt des sanctions pénales sévères. En effet, les peines d’emprisonnement, qui ont été supprimées en matière de délit d’entrave, ont été maintenues en cas d’inexistence du PV de carence. Ce manquement demeure donc passible d’une peine d’emprisonnement ainsi que d’une amende de 7 500 €. Même si cette peine d’emprisonnement n’est que rarement retenue, rappelons que l’amende est une sanction personnelle : c’est la personne physique « l’employeur » qui en assume personnellement le coût, le paiement par l’entreprise étant constitutif d’un abus de biens sociaux.

Verra ses décisions déclarées irrégulières :
En matière de licenciement pour motif économique : L’absence de PV rend le licenciement (individuel ou collectif) irrégulier. Le salarié peut prétendre à une indemnité minimale d’un mois de salaire et ce sans avoir à justifier du moindre préjudice en sus des indemnités déjà perçues. La dénonciation d’un usage sera inopposable aux salariés et l’employeur devra continuer à assumer l’avantage octroyé (s’il s’agit d’un avantage financier, l’ensemble des salariés concernés pourra prétendre à un rappel de salaire sur 3 ans).

Par ailleurs, tout document soumis à consultation préalable telle que la charte « télétravail », le règlement intérieur, ne pourra être imposé/opposé aux salariés. L’accord d’intéressement mis en place sans la production du PV entraîne la perte des exonérations sociales liées à ce type d’accord. Une telle situation n’est pas neutre alors même que le gouvernement encourage les entreprises à accorder une prime pour le pouvoir d’achat majorée si elles ont conclu au préalable un accord d’intéressement. Le licenciement du salarié déclaré inapte est abusif et celui-ci peut prétendre à des dommages et intérêts en sus des indemnités déjà versées.

De même, l’employeur devra verser systématiquement des dommages et intérêts pour préjudice subi du fait de l’absence d’organisation des élections professionnelles pour tout licenciement pour motif personnel, même fondé. Ainsi, même si la Cour de cassation a développé le principe selon lequel le salarié qui prétend avoir subi un préjudice (ex : clause de non-concurrence nulle) doit rapporter la preuve de la réalité de celui-ci pour prétendre à une indemnisation, elle persiste à considérer qu’en matière de représentation du personnel irrégulière, l’employeur commet une faute qui cause nécessairement un préjudice indemnisable aux salariés.

De surcroit, l’employeur sera dans l’impossibilité de conclure un accord avec un salarié mandaté dans les entreprises d’au moins 50 salariés. Pour mémoire : dans ces entreprises, il est possible, en l’absence de CSE de conclure des accords collectifs avec un ou plusieurs salariés mandatés. Cependant, l’absence du PV anéantit cette faculté, notamment en matière d‘Accord de performance qui ne peut être instauré que par la négociation collective.

En revanche, dans les entreprises de 11 à 49 salariés, il reste possible de négocier avec des salariés mandatés, et ce même en l’absence du PV du carence. Par ailleurs, l’employeur sera dans l’obligation de mettre en œuvre des élections sur simple demande d’un syndicat ou d’un salarié dans un délai d’un mois contrairement à 6 mois s’il est en possession et en mesure de présenter le PV de carence des dernières élections professionnelles.

En conséquence, en ces temps particuliers, il appartient aux employeurs d’être vigilants eu égard aux règles en matière de représentation du personnel afin d’éviter une remise en cause automatique de leur gestion d’entreprise, lourde de conséquences financières et humaines.

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