Mise à pied conservatoire

La mise à pied d’un salarié est disciplinaire si l’employeur ne justifie pas du délai existant entre la mise à pied et le déclenchement de la procédure de licenciement. 

1er élément : énonciation du ppe 

Dans un arrêt récent (Cass. soc., 14 avril 2021, n°20-12.920 F-D), la Cour de cassation a estimé qu’un délai de 7 jours calendaires entre la mise à pied d’un salarié et le déclenchement de la procédure disciplinaire de licenciement était excessif, en l’absence de justification d’un tel délai par l’employeur. Ainsi, si elle n’est pas immédiatement suivie de l’engagement d’une procédure de licenciement, la mise à pied du salarié est de facto disciplinaire et l’employeur ne peut plus sanctionner le salarié à nouveau pour ces mêmes faits.  

2ème élément : les faits 

Dans cette affaire, un salarié a été mis à pied le 8 septembre 2015 en raison d’une faute grave qu’il aurait commis. A ce titre, l’employeur a omis de préciser s’il s’agissait d’une mise à pied conservatoire ou disciplinaire.  

Une semaine plus tard, le 15 septembre 2015, le salarié a été convoqué par son employeur à un entretien préalable à un éventuel licenciement (point de départ officiel de la procédure de licenciement).  

Finalement, le 29 septembre 2015, l’employeur a licencié le salarié pour faute grave.  

Le salarié saisit le Conseil de prud’hommes. Il soutient que le délai entre le prononcé de sa mise à pied et l’engagement de la procédure de licenciement est trop important et n’est pas justifié par l’employeur. Par ailleurs, il constate que l’employeur n’a pas qualifié sa mise à pied de « conservatoire » et, par conséquent, conclut au caractère disciplinaire de celle-ci. 

3ème élément : les décisions  

  • Décision du Conseil de Prud’hommes et arrêt de la Cour d’appel : 

Le Conseil de Prud’hommes déboute le salarié de ses demandes. La Cour d’appel confirme ce jugement et estime que « cette mise à pied a été immédiatement suivie de l’engagement d’une procédure de licenciement […] puisque seulement quatre jours travaillés séparent cette mise à pied de la lettre de convocation à l’entretien préalable. » 

Les deux juridictions concluent ainsi, tant en fait qu’en droit, au bien-fondé du licenciement pour faute grave du salarié.  

Celui-ci forme un pourvoi en cassation. 

  • Arrêt de la Cour de cassation 

La Cour de cassation censure l’arrêt attaqué pour violation de la loi. 

Pour justifier sa décision, elle rappelle « qu’aucun fait fautif ne peut donner lieu à double sanction » conformément au principe non bis in idem, repris par l’article L. 1331-1 du Code du travail.  

La Cour de cassation expose que, si la Cour d’appel a justement constaté que la procédure de licenciement avait été engagée sept jours après la notification de la mise à pied, en n’ayant retenu aucun motif de nature à justifier ce délai, celle-ci n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations.  

La Cour d’appel aurait effectivement dû en déduire que cette mesure présentait le caractère d’une sanction disciplinaire eu égard du délai de 7 jours calendaires, celui-ci n’étant pas justifié par l’employeur. Par conséquent, l’employeur ne pouvait ensuite décider du licenciement du salarié en se basant sur les mêmes faits. 

4ème élément : analyse de la décision 

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence constante et connue de la Cour de cassation depuis de nombreuses années. Elle a, à plusieurs reprises, eu l’occasion d’affirmer son interprétation : 

La même solution avait été rendue dans un arrêt du 30 octobre 2013 dans lequel la Cour de cassation décidait qu’une mise à pied conservatoire, qui n’est pas suivie immédiatement de l’engagement de la procédure de licenciement, sans nécessité et sans que l’employeur puisse s’en expliquer, est requalifiée par les juges en une mise à pied disciplinaire. L’employeur ne peut pas ensuite sanctionner une nouvelle fois le salarié en prononçant son licenciement (Cass. soc., 30 octobre 2013, n° 12-22.962). 

De même, les délais suivants, sans justification, ont été jugés excessifs par la Cour qui a alors présenté la mise à pied intervenue comme revêtant effectivement le caractère d’une sanction disciplinaire : 

  • 6 jours (Cass. soc., 30 octobre 2013, n° 12-22.962) 
  • 8 jours (Cass. soc., 16 janv. 2019, n° 17-15.012) 
  • 13 jours (Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 18-25.565) 
  • 21 jours (Cass. soc., 13 févr. 2008, n° 06-42.969) 

Il est à noter que, même si la mise à pied est qualifiée de conservatoire par l’employeur, un délai excessif injustifié peut conduire le juge à la qualifier de disciplinaire (Cass. soc., 19 sept. 2007, n° 06-40.155). 

EXCEPTION : un tel délai peut exister si, et seulement si, l’employeur peut justifier de sa nécessité. Par exemple : 

  • Si ce délai est indispensable compte tenu de la nécessité, pour l’employeur, de mener à bien ses investigations sur les faits reprochés dans l’intérêt même du salarié (Cass. soc., 13 sept. 2012, n° 11-16.434) 
  • Si ce délai est nécessaire pour mener à bien une enquête par l’inspection générale de la société (une banque) sur les faits reprochés portant sur une opération financière (Cass. soc., 20 mai 2015, n° 14-11.767) 
  • Si les faits reprochés au salarié donnent lieu à l’exercice de poursuites pénales, l’employeur peut prononcer une mise à pied conservatoire, si les faits le justifient, pour la durée de la procédure judiciaire sans être contraint d’engager immédiatement la procédure de licenciement (Cass. soc., 4 déc. 2012, n° 11-27.508, n° 2598 FS – P + B) 

En tout état de cause, pour éviter toute confusion entre mise à pied disciplinaire et mise à pied conservatoire, il est recommandé de transmettre au salarié la notification de mise à pied conservatoire en même temps que la convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement, ce qui va officiellement déclencher la procédure de licenciement.  

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