Plus-values des sociétés non-résidentes sur cession de participation substantielle : l’incompatibilité du prélèvement de l’article 244 bis B du CGI avec le droit de l’UE

Une société étrangère qui cède des titres d’une filiale française peut, dans certains cas, être imposable en France sur la plus-value réalisée. C’est le cas notamment lorsqu’elle cède une « participation substantielle » dans une société française. Ce prélèvement, prévu à l’article 244 bis B du Code général des impôts (CGI), a été remis en cause par la jurisprudence administrative sous l’influence du droit de l’Union européenne. La Loi de finances rectificative pour 2021 a récemment modifié l’article 244 bis B du CGI afin de mettre le prélèvement en conformité avec le droit de l’Union européenne à compter du 30 juin 2021. Cependant, pour les sociétés qui auraient acquitté ce prélèvement avant le 30 juin 2021, il reste possible de déposer une réclamation afin d’en obtenir le remboursement. 

Le prélèvement en vigueur avant le 30 juin 2021 et sa remise en question par la jurisprudence administrative 

En principe, les plus-values de cessions à titre onéreux de valeurs mobilières réalisées par des sociétés dont le siège social est situé hors de France ou des personnes physiques domiciliées hors de France ne sont pas imposables en France (art. 244 bis C du CGI). 

Par exception, les plus-values des sociétés non-résidentes sont imposables en France en cas de cession d’une « participation substantielle » dans le capital d’une société ayant son siège en France. En effet, le Code général des impôts prévoit que les gains résultant de la cession de droits sociaux réalisés par une personne morale ayant son siège social hors de France sont imposables en France lorsque les droits dans les bénéfices de la société détenus par le cédant ont dépassé 25% de ces bénéfices à un moment quelconque au cours des 5 dernières années (art. 244 bis B et art. 164 B I. f. du CGI). 

Pour les personnes morales, quelle qu’en soit la forme, le prélèvement est dû au taux normal de l’impôt sur les sociétés (IS), c’est-à-dire au taux de 26,5% au titre de l’exercice 2021.  

La plupart des conventions fiscales internationales signées par la France prévoient l’imposition des plus-values mobilières exclusivement dans l’État du siège de la société et écartent donc l’application du prélèvement de l’article 244 bis B. 

Toutefois, certaines conventions fiscales attribuent le droit d’imposer à l’État du siège de la société dont les titres sont cédés. C’est le cas des conventions conclues avec l’Autriche, l’Espagne, l’Italie, la Suède, l’Islande, Malte, la Bulgarie, la Hongrie et Chypre (généralement à l’article 13 de la convention). En cas de cession d’une participation substantielle par une société résidente de l’un de ces États, le droit d’imposition est conventionnellement accordé à la France. 

Problématique 

En France, les plus-values de cession sur titres de participation réalisées par des sociétés résidentes bénéficient d’un régime fiscal favorable de quasi-exonération (participation exemption) : le régime des « plus-values à long terme ». La plus-value de cession de titres de participation fait l’objet d’une exonération, sous réserve de la taxation d’une quote-part de frais et charges (QPFC) fixée forfaitairement à 12 %, conduisant en pratique à une exonération de la plus-value à hauteur de 88% (art. 219 I. a. quinquies du CGI). Étant donné que le taux normal d’impôt sur les sociétés est de 26,5% au titre de l’exercice ouvert en 2021, cela équivaut à un taux effectif d’imposition de 3,18% (12%*26,5%). 

Toutefois, la loi ne prévoit pas l’application de ce régime dans le cas d’une cession de participation substantielle réalisée par une société dont le siège social est situé hors de France. 

L’administration fiscale, consciente du risque de non-conformité avec le droit de l’Union européenne, avait admis dans sa doctrine d’appliquer un régime équivalent lorsque la société étrangère cédante a son siège de direction effective dans un autre État de l’Union européenne (BOI-IS-RICI-30-20 n° 127 à 129.5.). La société européenne pouvait réclamer la restitution de la différence entre ce qu’aurait payé une société française placée dans la même situation (régime du long terme) et ce qu’elle doit payer en tant que société étrangère (taux normal d’impôt sur les sociétés). 

Le bénéfice de ce régime était notamment conditionné à ce que : 

  • la société cédante soit soumise à l’étranger à un impôt sur les bénéfices équivalent à l’impôt sur les sociétés, sans en être exonérée ; 
  • la société cédante détienne directement et de manière continue les titres cédés depuis au moins 2 ans au moment de la cession. 

Afin d’éviter une importante avance de trésorerie, l’administration admettait que la société étrangère paie uniquement le prélèvement correspondant à l’impôt sur les sociétés théorique dont elle aurait été redevable si elle avait été une société résidente en France, mais à condition de déposer simultanément une réclamation justifiant qu’elle remplit l’ensemble des conditions requises. 

La remise en cause du prélèvement par la jurisprudence du Conseil d’État et le droit de l’Union européenne 

Le Conseil d’État, dans sa décision AVM International du 14 octobre 2020 (n° 421524), a jugé que le prélèvement de l’article 244 bis B du CGI était contraire au droit de l’Union européenne en ce qu’il soumettait les sociétés établies dans l’Union européenne à une imposition plus élevée que celle qui aurait résulté de l’application du régime des plus-values à long terme. Cette différence de traitement méconnaît les principes de liberté d’établissement et de libre circulation des capitaux, reconnus par le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Par conséquent, ce prélèvement n’est pas applicable lorsque les titres cédés ont été détenus deux ans par une société européenne, et ce bien que la doctrine administrative prévoie la restitution de la différence entre le prélèvement et l’impôt sur les sociétés qu’aurait supporté une société française. 

Le Conseil d’État a jugé que la doctrine administrative n’était pas applicable en ce que l’administration n’est pas habilitée à créer un droit d’imposer. Dans l’affaire en cause, le Conseil d’État estime que la Cour administrative d’appel aurait dû prononcer « la décharge de l’imposition incompatible ». Il en résulte que les sociétés ayant leur siège dans l’UE étaient en droit de se dispenser d’acquitter le prélèvement de l’article 244 bis B, sous conditions. 

Par ailleurs, cette incompatibilité avec le droit de l’Union européenne avait été signalée par la Commission européenne dans le cadre d’une procédure d’infraction à l’encontre de la France. La Commission européenne avait considéré que le mécanisme mis en place par l’administration caractérisait une restriction à la liberté d’établissement car il conduisait à imposer une quote-part de frais et charges forfaitaire alors que les sociétés non-résidentes n’ont pas, à la différence des sociétés résidentes, pu déduire préalablement de l’assiette imposable en France les charges liées à l’acquisition ou à la gestion des titres de participation. Toutefois, et sans explication, cette procédure d’infraction avait été close le 10 octobre 2019.  

L’extension de cette remise en cause aux sociétés résidant hors de l’Union européenne par la Cour administrative d’appel de Versailles 

La question de l’application de la solution dégagée par le Conseil d’État aux sociétés étrangères résidentes d’États hors Union européenne pouvait se poser étant donné que le principe de libre circulation des capitaux a aussi vocation à s’appliquer aux relations entre États membres et États tiers. 

La Cour administrative d’appel de Versailles a étendu la solution aux sociétés hors UE puisqu’elle a prononcé la restitution intégrale du prélèvement pour une société située aux îles Caïmans (CAA Versailles 20 octobre 2020, n° 18VE03012, Runa Capital Fund I LP). Alors que le rapporteur public proposait de limiter la restitution à la fraction du prélèvement excédant l’impôt dont elles auraient été redevables si elles avaient été établies en France (QPFC), la Cour a prononcé, comme le Conseil d’État dans l’arrêt du 14 octobre 2020, la restitution complète du prélèvement. 

La loi en vigueur depuis le 30 juin 2021 (issue de la Loi de finances rectificative pour 2021) 

La Loi de finances rectificative pour 2021 a modifié l’article 244 bis B du CGI afin de le mettre en conformité avec le droit de l’Union européenne et la jurisprudence administrative. Le nouveau texte a complété l’article 244 bis B du CGI et légalisé la possibilité d’obtenir la restitution de la différence entre le prélèvement dû par une société étrangère et l’IS qu’aurait dû une société française placée dans la même situation. Cette modification est entrée en vigueur le 30 juin 2021.  

Selon les motifs de l’amendement sénatorial : « Afin d’éviter que des opérations qui devraient rentrer dans le champ du prélèvement n’échappent à l’impôt du fait des conséquences juridiques de la décision du Conseil d’État, il est prévu que le nouveau dispositif s’applique aux cessions ou rachats de droits sociaux et aux distributions réalisés à compter du 30 juin 2021. » (Projet de loi de finances rectificative pour 2021, amendement sénatorial n° 342 rect., adopté) 

Par ces motifs, le législateur reconnaît que la décision du Conseil d’État avait pour conséquence de rendre inapplicable le prélèvement de l’article 244 bis B du CGI dans les situations où une société non-résidente était discriminée par rapport à une société française placée dans la même situation. 

Conséquences pratiques : une opportunité de réclamer la restitution du prélèvement 

Suite à ces décisions, les sociétés non-résidentes qui ont acquitté le prélèvement avant le 30 juin 2021 peuvent envisager des réclamations contentieuses pour demander la restitution du prélèvement acquitté et le paiement des intérêts de retard : 

  • Les sociétés qui ont leur siège dans un autre État membre de l’Union européenne ayant acquitté le prélèvement de l’article 244 bis B du CGI pour des cessions réalisées avant le 30 juin 2021 pourront réclamer la restitution du prélèvement acquitté (l’intégralité ou le solde, selon les cas) sur le fondement de la décision AVM International du Conseil d’État ; 
  • Les sociétés qui ont leur siège hors de l’Union européenne ayant acquitté le prélèvement de l’article 244 bis B du CGI pour des cessions réalisées avant le 30 juin 2021 pourront réclamer la restitution du prélèvement acquitté sur le fondement de la décision Runa de la Cour administrative d’appel de Versailles. 

En raison des règles de prescription, la réclamation contentieuse peut porter sur les prélèvements acquittés au cours des années 2019, 2020 ou 2021 (avant le 30 juin). Concernant les prélèvements acquittés au cours de l’année 2019, la réclamation doit être déposée avant le 31 décembre 2021. 

L’équipe fiscale de Valoris Avocats est à votre disposition pour vous assister dans la formulation de cette réclamation. 

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